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Bonjour Julie, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Julie, 34 ans, féministe, rédactrice web spécialisée dans les questions féministes et d'éducation. Heureuse animatrice du compte Instagram Petite Lecture Inclusive, qui décortique les biais de la littérature jeunesse.
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Quelle est la genèse du compte Instagram Petite lecture inclusive et à qui s'adresse t'il ?
Ce compte est le résultat du croisement de mon parcours professionnel et personnel. J'ai suivi le parcours "Communication" à Sciences Po Lille, après deux années de prépa. Ces deux formations m'ont donné le goût de l'analyse des textes et des images, ainsi que de la sociologie de la communication.
Pourtant, une fois diplômée, j'ai fait comme tout le monde et j'ai travaillé en agence de com... Pour finir à un poste de responsable, à toucher à tout sans rien approfondir ! J'ai réalisé que ce que je voulais réellement, c'était écrire et analyser des textes.
Je me suis donc lancée à mon compte en tant que rédactrice. Parallèlement, j'ai accueilli mon enfant. La maternité a vraiment été un catalyseur du féminisme qui sommeillait en moi. Je fais de mon mieux pour éduquer mon enfant sans stéréotype de genre, sans clichés racistes, sans biais culturels, en lui laissant les portes ouvertes vers toutes les possibilités identitaires.
Mais la société rend encore la tâche corsée. La littérature jeunesse, notamment, se nourrit toujours de nombreux stéréotypes, et notamment d'un certain sexisme sociétal.
À force de décortiquer tous les albums jeunesse qui me tombaient sous la main, j'ai eu envie de partager mes réflexions avec d'autres personnes qui pouvaient être intéressées.
Avec des parents, bien sûr, mais aussi avec du personnel éducatif, des féministes, et plus généralement des personnes à qui l'éducation des enfants parle, dans l'optique de construire un futur plus juste.
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Comment nourris-tu les analyses et réflexions que tu abordes dans tes posts ?
Les idées de thématiques me viennent généralement d'observations ou de lectures personnelles. Je lis beaucoup d'auteurices féministes, ou spécialistes de la littérature jeunesse, ou de l'éducation non-genrée.
Pour une problématique que je soulève dans un post Instagram, je lis en moyenne entre 5 et 10 articles ou études sur le sujet, en plus de mes connaissances de départ.
Je veux pouvoir questionner mes propres croyances et fournir un contenu fouillé aux lecteurices.
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En tant que parent féministe, pourquoi te semble t’il important de sensibiliser sur la littérature jeunesse ?
La littérature jeunesse accompagne tous les enfants, même si ce n'est que par le biais de l'école. C'est un des socles principaux de leur environnement culturel. C'est donc aussi dans la littérature jeunesse qu'iels profitent d'une fenêtre sur la diversité, diversité des contextes, des personnes, des personnalités.
Le problème, c'est qu'elle tombe parfois dans le piège de la simplification, probablement par souci d'adaptation au jeune public. Les auteurices et illustrateurices peuvent également se confronter à leurs propres préjugés inconscients, ainsi qu'à une certaine pression en faveur du marketing genré.
Cette littérature s'appuie par ailleurs encore beaucoup sur des stéréotypes d'un autre temps, parce qu'ils sont rentables : la vieille marâtre, la princesse sauvée par son prince, la maman aux fourneaux, le père derrière son journal. Le problème de ces stéréotypes relève de leur systématicité.
Une image d'un père qui lit le journal n'est pas problématique en soi. Mais dans la littérature jeunesse, c'est presque un livre sur 10 qui montre un père derrière son journal. À force de se confronter à ce stéréotype, les enfants finissent par penser que c'est ce que fait un homme : lire le journal. Ce cliché va se superposer à un autre pour finalement réduire ce que les scientifiques appellent les "potentialités identificatoires" des enfants.
Si on ne questionne pas les stéréotypes et le manque de représentation de la littérature jeunesse, le champ des possibles se restreint. Être une fille implique alors certains comportements, une certaine apparence, certaines interdictions. Pareil pour les petits garçons. L'estime de soi des enfants qui ne se reconnaissent pas dans ces schémas est menacée.
Cette dynamique s'inscrit en outre dans un continuum culturel qui nourrit les inégalités entre sexes et le manque de visibilité des minorités.
Sensibiliser aux stéréotypes de la littérature jeunesse, c'est aussi inviter les parents, les familles et le personnel éducatif à décrypter les textes et les images avec les enfants.
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As-tu des lectures coups de cœur à partager ?
Pfiou, oui, plein !
Bien sûr, vous en trouverez beaucoup sur mon compte, mais s'il ne fallait en citer que quelques-unes ici, ce serait par exemple "Comme une princesse", de Brigitte Minne, illustré par Merel Eyckerman, au éditions Talents Hauts, dès 6 ans.
J'aime ce livre qui montre aux petites filles que toutes les femmes peuvent prétendre au titre de "princesse", quelle que soit leur physique.
C'est par ailleurs un album aux illustrations très qualitatives, ce qui est important pour rester crédible dans le secteur de la littérature jeunesse. Il traite plusieurs sujets avec simplicité. Il est à la fois féministe et anti-grossophobie, anti-validisme, anti-raciste.
J'aime aussi un autre album hyper esthétique, qui laissera tous les enfants les yeux écarquillés : "Julian est une sirène", de Jessica Love (Ecole des loisirs, dès 6 ans).
C'est un livre sur la liberté d'être soi, peu importe les stéréotypes de genre.
Les illustrations sont oniriques, elles laissent des possibilités d'interprétation très ouvertes. Tout passe par les images, les enfants n'ont presque pas besoin d'adultes pour l'utiliser. Ce livre se résume à fêter un enfant qui exprime ses goûts.
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Pour finir, as-tu un dernier mot à transmettre ?
Un message, peut-être, aux parents qui se dévouent corps et âme à l'éducation de leurs enfants.
L'idée de mon compte n'est pas de les encourager à sonder tous les livres à la recherche de tous les stéréotypes de genre, raciaux ou de tous les manques de représentations. La tâche serait titanesque, et n'empêcherait pas les enfants de tomber sur les stéréotypes en question dans un contexte non-familial.
Mon message serait plus d'encourager la discussion avec les enfants devant les textes ou les illustrations problématiques. Je pense qu'il ne faut pas censurer les livres, sauf cas critique, mais juste aider les enfants à analyser. Pour que l'esprit critique devienne une habitude, et qu'iels ne traduisent pas les représentations qu'iels rencontrent comme des généralités ou des vérités absolues.
Merci à Julie pour sa disponibilité
Propos recueilli le 21 avril 2022 -
Les images sont extraites du compte Petite Lecture Inclusive